Un Panda Boy à Versoix

Esprit TZP, de son nom d’artiste («Esprit» étant son pseudo et « TZP» le nom du crew — collectif — qu’il représente principalement), est aussi discret que talentueux. Avec son complice WHYR, il a investi le tunnel sous les voies ferrées CFF, reliant l’ancienne papeterie à la chocolaterie Favarger. Le résultat ? Une fresque d’une beauté saisissante. On ne peut regretter qu’un seul détail : que cette œuvre ne soit pas installée dans un lieu plus fréquenté, afin que le plus grand nombre puisse admirer ce travail. Dans cette interview, Esprit TZP nous dévoile la genèse de cette création, mais aussi ses réflexions sur le graffiti, un art encore mal compris et parfois injustement méprisé.
Parlez-nous de Panda Boy. Qui est-il, et comment ce personnage a-t-il trouvé sa place sur cette fresque à Versoix ?
Esprit TZP : La production «Panda» à Versoix, avec mon collègue WHYR, date d’il y a maintenant quelques semaines.
J’avais dessiné ce Panda Boy (garçon panda) en référence à ce que cet animal représente.
En effet, il est souvent associé à l’équilibre et à l’harmonie, notamment dans le contexte du yin et du yang. Étant natif du signe de la Balance, ces notions me parlent particulièrement.
Par ailleurs, il a une nature calme et sait éviter les conflits, ce qui me caractérise assez bien.
Enfin, le panda incarne aussi une force intérieure et une forme de résilience : malgré sa puissance, il dégage une douceur apparente.
C’est donc tout naturellement que j’ai proposé ce thème à WHYR, habitant la commune de Versoix, qui s’en est emparé en réalisant une version plus féminine du personnage (mi-femme, mi-panda).
Il a eu l’aval des autorités versoisiennes et m’a invité à collaborer sur cette fresque, que nous avons entièrement financée nous-mêmes.
Quand avez-vous réalisé cette œuvre, et combien de temps cela vous a-t-il pris ?
La durée d’une fresque varie selon plusieurs facteurs : météo, accessibilité, complexité de l’œuvre, moyens matériels disponibles, disponibilités, etc.
Pour le mur de Versoix, il nous a fallu environ vingt heures, réparties sur deux à trois jours.
Le dessin est superbe. Recevez-vous souvent des réactions ou des retours sur vos créations en général ?
Après de nombreuses années, le graffiti — qui a maintenant une cinquantaine d’années — commence tant bien que mal à se démocratiser dans le paysage urbain (et rural).
Cependant, il subsiste encore des avis divergents, et il n’est pas rare de recevoir des commentaires négatifs. Mais fort heureusement, cela ne représente plus qu’une minorité.
La plupart des gens sont intéressés et curieux lorsqu’ils nous voient à l’œuvre. Ils n’hésitent pas à nous remercier — comme ce fut le cas à Versoix, notamment avec les habitants des quartiers de la Pelotière et du Nant-de-Crève-Cœur.
Toutes les personnes croisées sur place nous ont adressé leurs félicitations.
C’est pourquoi il est important pour moi de dialoguer avec le public, afin de l’inviter à mieux comprendre notre démarche artistique — qu’il s’agisse de fresques ou d’interventions dites «sauvages» dans l’espace public.
Travaillez-vous aussi sur commande ?
Il n’est pas rare d’effectuer des commandes ou des mandats.
Ce sont souvent les partenaires privés avec lesquels je collabore qui manifestent le plus d’intérêt et de reconnaissance pour notre travail.
Même si vous préférez rester discret, pouvez-vous nous dire comment vous êtes venu au graffiti ? Aviez-vous des prédispositions artistiques dès le départ ?
Je ne pense pas qu’on puisse parler de prédispositions, mais plutôt d’un intérêt pour l’expression.
La création n’est, selon moi, qu’un outil d’expression, qu’elle soit picturale, musicale, écrite, corporelle, etc.
C’est donc vers l’âge de 12 ans que je m’y suis intéressé, après avoir dessiné occasionnellement des cartoons ou des comics dans mes cahiers d’école.
Ma rencontre avec le graffiti s’est faite en visionnant le film Beat Street (1984), dans lequel l’un des personnages principaux est graffeur et peint notamment sur le métro. J’ai été fasciné dès cet instant.
Un des «grands» du quartier où j’habitais pratiquait déjà le graffiti.
Je l’ai observé à plusieurs reprises, puis je me suis lancé en réalisant mon premier graffiti en plein hiver 1989, dans un passage souterrain près de chez moi.
Comment choisissez-vous les lieux où vous intervenez ? L’environnement influence-t-il votre processus créatif ?
Le choix des murs dépend souvent de leur taille, du nombre de graffeurs impliqués et du temps disponible.
Il n’est pas rare que nous voyagions pour peindre dans d’autres villes, en collaboration avec d’autres artistes, ce qui permet d’élargir nos influences et de créer du lien.
Le graffiti a cette particularité de pouvoir accueillir plusieurs writers (graffeurs) sur un même support, ce qui en fait une richesse esthétique, culturelle et stylistique unique.
Selon vous, quelle est la place du street art à Genève aujourd’hui ?
Je tiens à bien différencier le «street art» du graffiti.
Il y a une quinzaine d’années, seuls les graffeurs occupaient l’espace public. Ils prenaient des risques, étaient chassés, poursuivis, dénoncés.
Aujourd’hui, avec la démocratisation des outils (sprays, tutoriels, etc.), beaucoup d’autres pratiques artistiques ont fait leur apparition dans l’espace urbain: pinceaux, pochoirs, ruban adhésif, laine, etc.
Les street-artists ne sont pas considérés comme des vandales, contrairement aux graffeurs utilisant des sprays, et sont donc mieux tolérés, voire acceptés, par le public.
À Genève, une ville internationale fortement marquée par le secteur tertiaire, l’espace dédié à l’art – et à la culture en général – me semble limité.
Le graffiti (comme le street art) ne relève ni des Beaux-Arts ni de l’art contemporain ; les fonds publics ne nous sont donc pas attribués.
Pour certains, le graffiti reste un «art d’adolescents attardés», ou un simple hobby, alors que nombre d’entre nous le pratiquent depuis des décennies et s’exportent à l’international.
Le canton a ses priorités, et malheureusement, le graffiti n’en fait pas partie, contrairement à d’autres grandes villes européennes ou internationales.
Y a-t-il des lieux, à Genève ou ailleurs, où vous rêveriez de réaliser une fresque ?
Il n’y a pas d’endroit précis où je souhaite absolument peindre.
En revanche, je poursuis un projet : créer un graffpark, à la manière d’un skatepark, indoor et outdoor.
Ce lieu permettrait de rassembler non seulement les artistes, mais aussi les publics, pour créer des passerelles entre les gens.
L’art a ce pouvoir de fédérer, et un tel lieu permettrait de valoriser les talents locaux tout en offrant des opportunités aux jeunes artistes.
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